Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 15

Ils sont partout...
 
 
Les enfants sont de sortie... ils déboulent, ils sont partout.
Le gouvernement espagnol a autorisé la sortie des moins de 14 ans, et la ruée à la rue a commencé. Les enfants devaient être accompagnés d'un seul parent ou d'un proche, mais l'amour parental est plus fort que les injonctions gouvernementales : pères et mères n'ont pu se séparer ainsi de leur progéniture... après un mois et demi de confinement, tu parles, on ne peut plus se détacher. Même des oncles, tantes et marraines ont été emportés dans le mouvement, pendant que le frère de 14 ans et la sœur de 15 restaient le nez collé aux fenêtres de leurs chambres (ah, ah, privés de sortie ! On ne sait pas pourquoi, mais ça doit faire marrer Pedro Sanchez).
On a vu des pères courir allègrement sur le Paseo Maritimo, saluant la mer avec d'amples mouvements des bras ; on a vu des mères faire des bonds d’allégresse : quelles belles expressions de joie pour fêter la libération de leur chérubin (« au fait, il est passé où le gamin, chéri ? »)...
Et tous ces enfants !!! On avait oublié qu'il y en avait autant. Plus nombreux que les chiens, le croirez-vous ? C'est une invasion, c'est une « pédodémie » !
Oui, « pédodémie »... Ben quoi, j'ai pas le droit de créer mon mot-valise ? Le président de l'OMS, Tedros Adhanom, a bien créé le sien je vous rappelle : « infodémie »... alors pourquoi pas « pédodémie » ou... « cunidémie », tiens, si je veux. C'est ça, ressortez donc vos dictionnaires de latin et de grec ancien et créez vous même vos néologismes si ça vous chante. Pas sûr que vous ayez le même succès que l'ami Tedros Adhanom.
 
 
 
Au terme de cette pandémie, on en aura peut-être fini avec le Covid-19, mais on aura du mal à se débarrasser de ces deux mots : confinement et infodémie. Le premier continuera à planer comme une menace latente, en attendant la prochaine crise. Le second prendra sa place dans le répertoire de la novlangue, parmi d'autres tics médiatiques. J'ai d’ailleurs déjà lu plusieurs analyses consacrées à la façon de se prémunir contre « l'infodémie » (pire qu'un virus, on vous dit!). La dernière était publiée dans un quotidien espagnol à grand tirage, avec quatre règles pour éviter le danger :
1. Limiter l'information. Ce qui est assez cocasse de la part d'un journal.
2. Mettre en « mode silencieux » les groupes Whatsapp, considérés par l’honorable quotidien comme des « puits sans fond d'ordures informatives ». Ce n'est pas un scoop : tous ceux qui ont accepté par malheur d'intégrer un groupe Whatsapp de parents d’élèves le savent bien.
3. Compenser la « négativité » (sic) par de « l'évasion » (re-sic). Tiens, je croyais que la promotion des drogues était interdite en Espagne.
4. Choisir des médias rigoureux.
Ce quatrième point me paraît de loin le plus intéressant, car il conduit inévitablement à la question : un média rigoureux, d'accord, mais lequel ? Chacun peut évidemment affirmer qu'il dit la rigoureuse vérité.
Je ne vois qu'une seule solution pour sortir de l'ornière de « l'infodémie » : définir un nouveau paradoxe d'Épiménide (le poète et sage Crétois qui affirme que tous les Crétois sont des menteurs).
Partons donc désormais de ce principe : tout ce que vous lisez dans les journaux est faux. Parole de journaliste.
 
 
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard