Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 19

Sale temps pour les prophètes.
 
 
La chose est passée assez inaperçue. Pourtant, elle marque peut-être un tournant dans l'histoire de l’humanité. Oui, je sais bien que des mots comme « historiques » ou « exceptionnels » ont été galvaudés un peu plus à chaque nouveau but de Lionel Messi. Pourtant, ces termes sont légitimes à l'heure où les stars du football ne sont pas les seules à briller par leur absence... Où sont donc passés les prophètes de l'apocalypse ? Comment ne profitent-ils pas de cette crise sanitaire mondialisée ? Une pandémie pour un prédicateur, c'est comme un penalty sans gardien de but pour Cristiano Ronaldo (désolé, les sponsors m’obligeaient à citer les deux joueurs). Bref : c'est une occasion immanquable. Un virus qui parcourt la planète de Wuhan à New-York en passant par Milan et les bordels de la Junquera, c'est du pain béni pour les marchands de moraline, les fous de Dieu et les vengeurs monothéistes !
On l’avait bien vu avec le sida : « punition divine », « châtiment purificateur », « condamnation céleste du péché »... La calotte sous toutes ses formes s'était déchaînée avec l'avidité massacrante (et suspecte) d'un puritain sur un magazine porno.
Avec l'épidémie de Covid-19, quelques opportunistes ont bien tenté leur chance, mais manque de bol, le virus saute sans partage sur les curés, rabbins et imams comme sur l'athée ou l'agnostique. D’autant que dans le secteur du sectarisme, la moyenne d'âge élevée des professionnels est plus propice à la contamination. Les processions chrétiennes, le pélerinage à la Mecque et les célébrations de la Pâque juive ont été soumis aux règles du confinement, pour cause de crise sanitaire. Dieu a obéi à la prescription médicale.
 
(Le dimanche des Rameaux - 5/04/2020)
 
J'ai toujours pensé que Arturo San Agustin avait profité de son nom comme d’un sésame pour s’ouvrir les portes du Vatican, où il fréquente jusqu'au Pape. L'écrivain-journaliste est aussi à l'aise parmi la Curie qu'à la table du restaurant Casa Leopoldo, référence gastronomique, taurine et littéraire du quartier du Raval. À Barcelone comme à Rome, il promène toujours ce même regard ironique et curieux, conscient que les questions sont souvent plus intéressantes que les réponses. Surtout quand il n'y a pas de réponse.
Dans les couloirs du Vatican, Arturo s'est amusé à demander à ses amis Cardinaux s'il pouvaient imaginer « un robot ayant la foi » :
- Pour la première fois, ces personnes cultivées ne savaient pas répondre à ma question. Ça m'a surpris, et ça m'a donné l'idée d'un roman futuriste.
Dans sa dystopie (1), Arturo imagine un nouveau type de combat religieux impliquant deux robots croyants fanatisés : l'un fabriqué en Chine, et l'autre aux États-Unis. Avec la science au cœur des religions ; la science comme religion. C'est à la fois drôle, inquiétant, métaphorique, et un brin prémonitoire.
Car si les prédicateurs divins ont été inaudibles au cours de cette crise du Covid-19, c'est parce que la science a imposé ses règles, ses pratiques et ses dogmes : d'un côté la vérité scientifique, de l'autre les hérétiques (au bûcher, les pseudo-sciences!). La science avec ses anathèmes aussi (« alors tu penses que la terre est plate et qu'on peut guérir du virus en buvant de la javel !»).
Mais à la différence avec les prêcheurs d’apocalypse, les adorateurs de la Science nous annoncent un futur « sur terre » idyllique, sain et délivré de toute maladie. À condition de respecter bien sûr son catéchisme hygiéniste, les gestes barrières, les règles de confinement et les distances de sécurité.
Et peut-être même qu'on ne mourra plus ! Sauf d'ennui.
 
 
(1) Arturo San Agustin : « El robot que cree en Dios » (Ed. ED Libros)
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard